Beethoven, Schumann
Jean-Nicolas Diatkine, piano
Beethoven, Sonate n°21, op. 53 Waldstein, Schumann, Carnaval, op. 9. Jean-Nicolas Diatkine, piano. CD Solo Musica.
Jean-Nicolas Diatkine aime Beethoven. , et cela s’entend. Il suffirait presque d’écrire cela, assez platement il est vrai, pour rendre compte de cet enregistrement de la Sonate n°21 opus 53, dite Waldstein. Le pianiste français a déjà composé un CD d’autres sonates de Beethoven, et il parle du compositeur dans les confidences qu’il a bien voulu faire avec tendresse et admiration. Mais cette propension à jouer Beethoven, sa familiarité avec l’œuvre pianistique de Ludwig, compagnon de longue route musical, intellectuel, presque spirituel, ne suffisent pas à expliquer l’impression que l’auditeur ressent à l’écoute du disque. L’évidence d’un jeu élégant, totalement maîtrisé et absolument libéré. Cette Waldstein, du nom du protecteur indéfectible que jeune le compositeur connut lors de ses débuts à Vienne, impose sa fluidité et ses rebonds, sa vivacité et sa lumière, sa tendresse et son mystère. Beethoven, on le sait, venait d’acquérir un nouvel instrument, un piano à queue Erard, aux possibilités techniques et harmoniques élargies. La Sonate sonne comme la conquête de ce nouvel univers sonore que Jean-Nicolas Diatkine parcourt non avec ivresse – ce n’est point dans sa philosophie – mais avec une large respiration, dilatée, une forme d’épanouissement. Écoutez comment le premier mouvement, sous les doigts de notre interprète, parcourt tout le clavier avec une ardeur joviale, et des subtilités qui apparaissent comme des traits d ’humour, de fantaisie, presque d ’espièglerie souriante. Qu’il est beau ce Beethoven sans emphase, sans empesage, sans rigidité, nerveux et souple! Le mouvement central, bref puisque Beethoven l’amputa d’un Andante, fait entendre le frémissement mystérieux des ombres, qu’une lente progression adagio entre grave et aigu fait entrer dans le rêve: Diatkine parvient à donner à chaque note, sa place, sa densité, sa couleur construisant ces quelques mesures comme un moment musical de grave sérénité. Dans le Rondo se met en œuvre la même rencontre entre la partition et l’interprète que l’on sent guidé par la quête de cette union: la fin semble célébrer le miracle de cette fusion. Dans la notice de présentation, l’interprète propose une analogie parlante: «le doute disparaît, comme s’allume soudain la lueur d’espoir dans les yeux de Saul en entendant la harpe de David, scène peinte par Rembrandt». On ne saurait mieux dire l’impression éprouvée – une illumination - à l’écoute de cet enregistrement.
Le même texte, riche de références poétiques, musicales, littéraires éclaire l’œuvre suivante Le Carnaval de Schumann et les intentions du pianiste. On ne peut évoquer chacun des vingt deux tableautins, saynètes, miniatures, instants ici captés, croqués, saisis. L’ensemble de ce défilé théâtral intime, de cette parade drôlatique pour dire ses humeurs est joué avec une verve, un sens du détail pittoresque, un humour, une légèreté de touche, un entrain que ne fuit pas la poésie proche de l’esprit du Verlaine des Fêtes galantes et des «déguisements fantasques» cités par le pianiste lui-même. Ce qui domine est ce que l’on nomme «l’esprit», cette disposition où se taquinent malice, finesse, subtilité, humour et que servent le rythme adopté pour chaque scène ou chaque personnage, les couleurs prestement posées, l’agilité technique, la maîtrise de l’architecture ou de la mise en scène de ce théâtre intérieur. On aime sourire avec ce Schumann là, si proche de l’esprit d’enfance.
Le «grand public» connaît peu Jean-Nicolas Diatkine. Ses admirateurs, dont nous sommes, sont sensibles à sa liberté de ton, gagnée au prix d’un travail technique et intellectuel exigeant. Cette liberté éclate dans cet enregistrement dans lequel se déploie largement l’aventure d’une rencontre avec deux génies du piano.
Jean Jordy
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Jean-Nicolas Diatkine aime Beethoven. , et cela s’entend. Il suffirait presque d’écrire cela, assez platement il est vrai, pour rendre compte de cet enregistrement de la Sonate n°21 opus 53, dite Waldstein. Le pianiste français a déjà composé un CD d’autres sonates de Beethoven, et il parle du compositeur dans les confidences qu’il a bien voulu faire avec tendresse et admiration. Mais cette propension à jouer Beethoven, sa familiarité avec l’œuvre pianistique de Ludwig, compagnon de longue route musical, intellectuel, presque spirituel, ne suffisent pas à expliquer l’impression que l’auditeur ressent à l’écoute du disque. L’évidence d’un jeu élégant, totalement maîtrisé et absolument libéré. Cette Waldstein, du nom du protecteur indéfectible que jeune le compositeur connut lors de ses débuts à Vienne, impose sa fluidité et ses rebonds, sa vivacité et sa lumière, sa tendresse et son mystère. Beethoven, on le sait, venait d’acquérir un nouvel instrument, un piano à queue Erard, aux possibilités techniques et harmoniques élargies. La Sonate sonne comme la conquête de ce nouvel univers sonore que Jean-Nicolas Diatkine parcourt non avec ivresse – ce n’est point dans sa philosophie – mais avec une large respiration, dilatée, une forme d’épanouissement. Écoutez comment le premier mouvement, sous les doigts de notre interprète, parcourt tout le clavier avec une ardeur joviale, et des subtilités qui apparaissent comme des traits d ’humour, de fantaisie, presque d ’espièglerie souriante. Qu’il est beau ce Beethoven sans emphase, sans empesage, sans rigidité, nerveux et souple! Le mouvement central, bref puisque Beethoven l’amputa d’un Andante, fait entendre le frémissement mystérieux des ombres, qu’une lente progression adagio entre grave et aigu fait entrer dans le rêve: Diatkine parvient à donner à chaque note, sa place, sa densité, sa couleur construisant ces quelques mesures comme un moment musical de grave sérénité. Dans le Rondo se met en œuvre la même rencontre entre la partition et l’interprète que l’on sent guidé par la quête de cette union: la fin semble célébrer le miracle de cette fusion. Dans la notice de présentation, l’interprète propose une analogie parlante: «le doute disparaît, comme s’allume soudain la lueur d’espoir dans les yeux de Saul en entendant la harpe de David, scène peinte par Rembrandt». On ne saurait mieux dire l’impression éprouvée – une illumination - à l’écoute de cet enregistrement.
Le même texte, riche de références poétiques, musicales, littéraires éclaire l’œuvre suivante Le Carnaval de Schumann et les intentions du pianiste. On ne peut évoquer chacun des vingt deux tableautins, saynètes, miniatures, instants ici captés, croqués, saisis. L’ensemble de ce défilé théâtral intime, de cette parade drôlatique pour dire ses humeurs est joué avec une verve, un sens du détail pittoresque, un humour, une légèreté de touche, un entrain que ne fuit pas la poésie proche de l’esprit du Verlaine des Fêtes galantes et des «déguisements fantasques» cités par le pianiste lui-même. Ce qui domine est ce que l’on nomme «l’esprit», cette disposition où se taquinent malice, finesse, subtilité, humour et que servent le rythme adopté pour chaque scène ou chaque personnage, les couleurs prestement posées, l’agilité technique, la maîtrise de l’architecture ou de la mise en scène de ce théâtre intérieur. On aime sourire avec ce Schumann là, si proche de l’esprit d’enfance.
Le «grand public» connaît peu Jean-Nicolas Diatkine. Ses admirateurs, dont nous sommes, sont sensibles à sa liberté de ton, gagnée au prix d’un travail technique et intellectuel exigeant. Cette liberté éclate dans cet enregistrement dans lequel se déploie largement l’aventure d’une rencontre avec deux génies du piano.
Jean Jordy
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Publié le 15/12/2021 à 12:24, mis à jour le 15/12/2021 à 12:25.