Lieder de Mahler
Markus Werba, baryton
Gustav Mahler, Lieder eines fahrenden Gesellen, Des Knaben Wunderhorn. Anton Bruckner, Vier Orchesterstücke. Markus Werba, baryton, Orchestre national d’Ile-de France, direction Enrique Mazzola. CD NoMadMusic. 59’21
Son Papageno a conquis toutes les scènes du monde. Toulouse l’a applaudi en 2003 à trente ans dans le rôle de l’oiseleur mozartien. Loin de se cantonner à ce personnage, à Mozart et à l’univers de l’opéra, le baryton autrichien Markus Werba est aussi un récitaliste réputé. Ce précieux enregistrement de lieder de Mahler en apporte un témoignage subtilement profond, de bout en bout émouvant. Les Chants d’un compagnon errant qui ouvrent le disque ont leur poids de chagrin, mais la voix, souple, infiniment variée, au timbre clair, à l’articulation ciselée et cependant naturelle, s’allège, toujours humblement chantante. La construction du discours lyrique se distingue par l’intelligence du texte, le choix des tempi, les couleurs des affects, la clarté du propos. L’orchestre accompagne de ses timbres polychromes les confessions du voyageur solitaire: quelle force expressive dans les contrastes entre le deuxième lied, bucolique, mais teinté de mélancolie, le troisième violemment dramatique ou le quatrième, véritable marche funèbre, et combien les pupitres et leurs jeux, tantôt ludiques, tantôt comme hagards, savent traduire bonheurs fugitifs et noires angoisses! La fin du cycle plonge l’auditeur au cœur du désarroi du cycle dont la progression, dans la direction fiévreuse d’Enrique Mazzola, dans l’interprétation du baryton viennois, structure une sorte d’opéra de chambre. L’anthologie du Cor merveilleux de l’enfant a inspiré à Mahler de nombreux lieder, parfois introduits dans ses symphonies. Comme beaucoup de chanteurs avant lui - on compte plus de deux cents enregistrements – Markus Werba choisit six pièces. Et on ne peut que louer la pertinence de la sélection. Qui voudrait se convaincre de la qualité de l’interprétation pourrait écouter le seul Revelge, un des chefs d’œuvre de Mahler. Sept minutes où l’orchestre brille de mille nuances, scande son inexorable marche militaire, soupire, retient son souffle, accélère jusqu’à l’extinction de ses feux; sept minutes où la voix du baryton s’éclaire ou s’assombrit, éclate ou se voile, martiale ou douloureuse, enflammée ou horrifiée, voire sarcastique. Saisissant. L’infinie diaprure de la palette, la compréhension intime de l’univers du compositeur, de sa vision tragique de l’humain, la célébration du texte se retrouvent dans les adieux du Tambour à la vie comme dans Urlicht, bouleversants. L’autre versant mahlérien se révèle tout aussi finement illustré. Le tableau cocasse du Sermon de Saint-Antoine de Padoue aux poissons se pare d’un humour vif, frétillant puis désabusé. La fable finale se révèle un modèle d’inventivité narrative, de burlesque et d’élégance à la fois. Quel que soit le registre, le chant, très travaillé, s’avère d’un parfait naturel, toujours juste, infiniment divers, très beau. Les Quatre pièces pour Orchestre (1862), œuvre de jeunesse de Bruckner, s’intercalent entre les deux cycles de lieder. Annonçant par la richesse de l’orchestration la pâte sonore à venir du compositeur qui se souvient ici de Schubert, elles font miroiter un orchestre et une direction chatoyants, dignes de louanges. Le bonus final autour du Prologue de Paillasse (cadeau inopiné ou erreur technique?) confirme la réjouissante complicité entre le chanteur et le chef. Tous deux signent un enregistrement qui va nous accompagner longtemps. Comme pour les livres, il doit y avoir des disques de chevet. Celui-ci en fera certainement partie.
Merci à l’éditeur d’avoir inclus les textes et leur traduction en français.
Jean Jordy
Son Papageno a conquis toutes les scènes du monde. Toulouse l’a applaudi en 2003 à trente ans dans le rôle de l’oiseleur mozartien. Loin de se cantonner à ce personnage, à Mozart et à l’univers de l’opéra, le baryton autrichien Markus Werba est aussi un récitaliste réputé. Ce précieux enregistrement de lieder de Mahler en apporte un témoignage subtilement profond, de bout en bout émouvant. Les Chants d’un compagnon errant qui ouvrent le disque ont leur poids de chagrin, mais la voix, souple, infiniment variée, au timbre clair, à l’articulation ciselée et cependant naturelle, s’allège, toujours humblement chantante. La construction du discours lyrique se distingue par l’intelligence du texte, le choix des tempi, les couleurs des affects, la clarté du propos. L’orchestre accompagne de ses timbres polychromes les confessions du voyageur solitaire: quelle force expressive dans les contrastes entre le deuxième lied, bucolique, mais teinté de mélancolie, le troisième violemment dramatique ou le quatrième, véritable marche funèbre, et combien les pupitres et leurs jeux, tantôt ludiques, tantôt comme hagards, savent traduire bonheurs fugitifs et noires angoisses! La fin du cycle plonge l’auditeur au cœur du désarroi du cycle dont la progression, dans la direction fiévreuse d’Enrique Mazzola, dans l’interprétation du baryton viennois, structure une sorte d’opéra de chambre. L’anthologie du Cor merveilleux de l’enfant a inspiré à Mahler de nombreux lieder, parfois introduits dans ses symphonies. Comme beaucoup de chanteurs avant lui - on compte plus de deux cents enregistrements – Markus Werba choisit six pièces. Et on ne peut que louer la pertinence de la sélection. Qui voudrait se convaincre de la qualité de l’interprétation pourrait écouter le seul Revelge, un des chefs d’œuvre de Mahler. Sept minutes où l’orchestre brille de mille nuances, scande son inexorable marche militaire, soupire, retient son souffle, accélère jusqu’à l’extinction de ses feux; sept minutes où la voix du baryton s’éclaire ou s’assombrit, éclate ou se voile, martiale ou douloureuse, enflammée ou horrifiée, voire sarcastique. Saisissant. L’infinie diaprure de la palette, la compréhension intime de l’univers du compositeur, de sa vision tragique de l’humain, la célébration du texte se retrouvent dans les adieux du Tambour à la vie comme dans Urlicht, bouleversants. L’autre versant mahlérien se révèle tout aussi finement illustré. Le tableau cocasse du Sermon de Saint-Antoine de Padoue aux poissons se pare d’un humour vif, frétillant puis désabusé. La fable finale se révèle un modèle d’inventivité narrative, de burlesque et d’élégance à la fois. Quel que soit le registre, le chant, très travaillé, s’avère d’un parfait naturel, toujours juste, infiniment divers, très beau. Les Quatre pièces pour Orchestre (1862), œuvre de jeunesse de Bruckner, s’intercalent entre les deux cycles de lieder. Annonçant par la richesse de l’orchestration la pâte sonore à venir du compositeur qui se souvient ici de Schubert, elles font miroiter un orchestre et une direction chatoyants, dignes de louanges. Le bonus final autour du Prologue de Paillasse (cadeau inopiné ou erreur technique?) confirme la réjouissante complicité entre le chanteur et le chef. Tous deux signent un enregistrement qui va nous accompagner longtemps. Comme pour les livres, il doit y avoir des disques de chevet. Celui-ci en fera certainement partie.
Merci à l’éditeur d’avoir inclus les textes et leur traduction en français.
Jean Jordy
Publié le 18/02/2020 à 18:44, mis à jour le 12/01/2022 à 21:50.