Vilde Frang

Bartok, Enesco
Bartok, Concerto pour violon 1. Vilde Frang, violon. Orchestre Philarmonique de Radio-France. Direction Mikko Franck. Enesco, Octet. Vilde Frang, Erik Schumann, Gabriel Le Magadure, Rosanne Philippens, Lawrence Power, Lily Francis, Nicolas Altstaedt, Jan-Erik Gustafsson. CD Warner Classics 58’05.

La jeune violoniste, et depuis longtemps reconnue, Vilde Frang ne choisit pas ici d’enregistrer les deux concertos de Bela Bartok, mais couple le premier, le moins joué (1907-1908), avec l’Octuor pour cordes de Georges Enesco (1900). Cette association qu’appellent l’exacte contemporanéité des deux musiciens, nés tous deux en 1881, leur origine, leurs recherches tonales, la richesse de leur parcours, s’avère pleinement justifiée par ce CD ardent.
L’œuvre du compositeur hongrois est née d’un chagrin d’amour et sans doute d’une humiliation. On s’accorde à y voir le portrait de celle qui l’a rejeté, la violoniste Stefi Geyer. Le manuscrit sera conservé par la bien aimée et l’œuvre ne sera créée qu’après la mort de l’inspiratrice en 1958, soit un demi-siècle après sa conception… Sa structure en deux mouvements rompt avec la norme, Bartok ayant renoncé au troisième envisagé où serait apparu le côté «froid, indifférent, silencieux» de l’aimée. Le thème de Stefi ouvre le concerto, tendre, délicat et triste auquel le violon lumineux de Vilde Frang apporte une forme de ferveur. On songe à l’écoute de cet andante parfois à Fauré pour cette transparence éthérée que nimbe de couleurs irisées l’Orchestre philarmonique de Radio-France sous la direction fusionnelle de Mikko Franck. La beauté de cette page lyrique envoute jusqu’à un final impalpable. D’emblée les interprètes se hissent sur des cimes. Dans le second mouvement, la violoniste norvégienne éclaire avec passion l’autre versant d’une âme tourmentée, qui sait conjurer le désespoir par un télescopage troublant de rythmes, d’humeurs changeantes, parfois grinçantes. On reste confondu par la maitrise technique de l’interprète, la netteté et la vigueur du trait, la vivacité de l’orchestre, l’énergie d’une conception tumultueuse, vivante et libre.
Dans l’Octuor pour cordes de Georges Enesco, Vilde Frang conduit ses sept collègues virtuoses sur des voies plus complexes encore. Cette œuvre de jeunesse (le compositeur a 19 ans) marie la polyphonie la plus riche au jaillissement d’éléments confiés à l’un ou l’autre des pupitres. Le Très modéré initial parcouru de frissons semble avancer inexorablement sous la pression d’une nécessité impérieuse. Que dire dès lors du Très fougueux que les nerveux interprètes, dotés d’une maitrise technique époustouflante, jouent avec une ardeur jubilatoire dans une sorte de course à l’abîme sans répit? Le même saisissant contraste est à l’œuvre dans le Lentement fluide et grave, et le passionné Mouvement de valse bien rythmée qui conclut une œuvre où se découvrent une inventivité, une tension et une surprenante modernité.
Diapason d’Or du mois, ce CD mérite tous les éloges qui lui sont décernés non seulement par le jeu fascinant d’une Vilde Frang fiévreuse ou rêveuse, et par la qualité des complices qui l’entourent, mais encore par l’audace et la pertinence des choix musicaux opérés. Un très beau disque assurément.

Jean Jordy


Présentation de l’album:
Publié le 09/10/2018 à 18:36, mis à jour le 04/05/2020 à 16:36.