Interview Véronique Gens

par Monique Parmentier
Photos Marc Ribes - Virgin Classics
Le baroque est ce vraiment fini pour vous?
Je dis cela depuis quelques années déjà. C’est vrai que j’en ai chanté beaucoup que j’aime beaucoup cette musique mais je sens que ma voix a besoin d’aller vers autre chose et moi aussi. Cela fait 25 ans que je chante et j’ai chanté cette musique pendant plus de 10 ans et c’est la vie qui passe. Ma voix a murie et tant que j’en ai la possibilité pourquoi pas m’aventurer vers d’autres répertoires.

Accepteriez-vous encore des rôles baroques?
Ca dépend, il y a baroque et baroque. Le pur et dur comme Les Leçons de Ténèbres de Couperin ou des Messes de Charpentier ça c’est vraiment terminé. Je ne peux plus chanter ce répertoire. Je suis trop mal à l’aise vocalement je sens que ma voix n’a plus toutes les qualités requises par ces oeuvres. On y a besoin de voix jeunes. Après 25 ans de carrière ma voix est beaucoup plus travaillée. Je serais donc très malheureuse de faire ce genre de répertoire car je ne le ferais pas comme j’ai envie de l’entendre. Mais si on me propose demain une Alcina oui je ferais.

Alors soprano ou mezzo?
(Elle rie). Ni l’un ni l’autre. On a toujours besoin d’étiqueter les gens mais moi je pense que je ne suis pas un vrai soprano, c’est évident. Il y a beaucoup de choses que je ne peux pas chanter qui sont bien trop aigues pour moi et je ne suis pas un vrai mezzo non plus car il y a des choses qui sont trop graves pour moi. Je suis quelque chose entre les deux, un peu comme un Falcon effectivement. Mais il y a beaucoup de répertoire pour ce genre de voix en fait. Ce qui est un peu tendu pour les mezzos est parfait pour moi et trop grave pour les sopranos de même. C’est pourquoi j’étais si à l’aise dans la musique baroque française parce qu’elle est toujours très centrale.

Le nouveau CD «Tragédiennes» est le 3e d’une série, saviez-vous que vous iriez aussi loin en enregistrant le premier?

Bien sur que non quand nous avons fait le premier, il s’appelait simplement «Tragédiennes», sans 1. C’était déjà une époque où je disais que je ne voulais plus trop chanter cette musique et c’était une façon pour moi de boucler la boucle en donnant un petit panorama lyrique de Lully à Rameau «et maintenant c’est terminé». Cela a tellement bien marché qu’on nous a proposé un deuxième volume. Christophe Rousset l’a accepté avec beaucoup d’enthousiasme et pour ma part j’étais ravie évidemment. Nous nous sommes dit allons beaucoup plus loin, de Glück jusqu’à Berlioz. Et ce qui était une blague entre nous, Tragédiennes 3, est devenu une réalité. Nous avons fait ce disque avec beaucoup de plaisir et d’envie. Je pense que je peux parler autant pour les musiciens, pour Christophe que pour moi. Nous nous sommes aventurés vers des terrains que nous n’avions pas l’habitude de fréquenter. Il y avait une excitation, une ambiance superbe. Les musiciens ont fait des recherches et ont trouvé les instruments qui correspondaient à la période. Et si eux ont joué avec des instruments qu’ils n’avaient pas l’habitude de jouer, j’ai chanté avec une voix avec laquelle je n’avais pas l’habitude de le faire et Christophe a du diriger d’une autre manière. Mais il y avait une espèce d’effervescence, nous nous sommes soutenu, porté et j’ai rarement fait un disque avec autant de plaisir, vraiment. Nous nous sommes posés des questions évidemment puisque nous ne connaissions pas très bien ce répertoire mais nous étions tellement enthousiaste et heureux d’avoir l’opportunité de le faire que cela c’est fait dans un grand élan.

Comment c’est fait le choix des pièces? Christophe ou vous?
Oui, dans les autres volumes c’était pareil sauf que cette fois-çi on a eu beaucoup d’aide de la part du Palazetto Bru Zane, dont la musique romantique française est la spécialité. Ils nous ont proposé beaucoup de musique. J’ai d’abord fait un premier choix en fonction de ma vocalité. Le deuxième choix a été plus terre à terre puisque budgétaire. Car cette musique demande des effectifs énormes et nous n’avions pas un budget pour ce type de formation. Nous avons donc choisi en fonction de ma voix, des effectifs mais aussi avec l’envie de proposer aussi bien des choses très connues que d’autres moins. Ça a été une idée de base pour les trois volumes. C’est le côté aventurier de Christophe qui aime défricher et faire découvrir de nouvelles œuvres. J’avoue que je n’avais jamais entendu parler de certaines d’entre elles et de leurs compositeurs comme le Roland à Roncevaux d’Auguste Mermet ou Astyanax de Rodolphe Kreutzer et c’était de belles découvertes. Ce sont des compositeurs qui à mon sens n’auraient jamais du tomber dans l’oubli. Il y a vraiment des choses très jolies et très intéressantes.

Vous terminez ce disque par un Verdi, envisagez vous de vous lancer dans Verdi ou Wagner?

Je ne vais pas me spécialiser là-dedans. Wagner j’en ai déjà chanté, mais il n’y a pas grand-chose pour moi, je ne rêve ni d’Isolde ni d’une Walkyrie. C’est vrai que j’ai chanté Eva, pourquoi pas Elisabeth mais ça va s’arrêter là. Verdi oui. Je chante déjà beaucoup Alice et c’est un répertoire où je me sens bien maintenant. Ma voix me donne envie d’aller par là. Il y a 10 ans je ne vous aurais pas dit ça mais aujourd’hui cela me parait une évidence. Je fais beaucoup confiance à mon instinct et je me sens très confortable dans cette musique. Ce disque est vraiment très représentatif de cette évolution de ma voix. Mais attention je ne dis pas que je ne vais chanter que du Verdi, Mozart restera toujours le centre de mon répertoire et ma base. J’ai besoin de Mozart et je l’aime beaucoup. J’ai la chance de chanter des personnages tellement extraordinaires.

Ne craignez vous pas que certains vous compare aux grandes mezzos du passé comme Shirley Verrett?

Pourquoi aurais-je peur? Les gens ont toujours besoin de faire des comparaisons. Je n’ai pas eu du tout le même parcours que Shirley Verrett. Elle était fantastique, je l’aime beaucoup, mais elle n’a pas grand-chose à voir avec moi. Et si l’on me prend pour une mezzo, pourquoi pas si cela rassure les gens. Cela m’est égal. J’ai les aigus qu’une mezzo n’a pas. C’est vrai que souvent quand je suis à l’étranger on me présente soi comme une mezzo soit comme une soprano. L’essentiel pour moi est que je sois à l’aise avec ce que je chante et que je sache toujours choisir mon répertoire. J’avoue que le reste m’indiffère.
Je n’ai pas la prétention de me comparer à qui que ce soit. Jamais on n’aurait imaginé de s’aventurer vers le XIXe, Massenet ou Saint-Saëns, nous avons juste voulu montrer un panel de ce qu’était toutes ces femmes trahies, blessées, malheureuses mais toujours amoureuses. La forme change mais le fond est toujours le même.

Parlez nous de votre voix?
Avec l’expérience et mon histoire personnelle elle a beaucoup changée. Je suis beaucoup plus sûre de moi, je sais exactement ce que je fais. Cela a pris du temps. Mais toutes les chanteuses vous diront la même chose. On met du temps à savoir où se situer. Je sens en particulier que mon médium est de plus en plus confortable, de plus en plus stable. Et je sens que mes aigus deviennent de plus en plus faciles et mes graves plus assurés.

Votre diction vous la devez à l’école baroque?
Oui, J’ai toujours apporté beaucoup d’attention à cela. Je tiens cela des cours de William Christie au Conservatoire supérieur et le fait que lorsqu’on chante de la musique française on commence par la déclamer. On apprend l’importance des syllabes longues et des syllabes courtes, des consonnes importantes. C’est vraiment indispensable dans ce genre de musique si l’on veut être convaincant de toucher les gens avec le texte. Donc c’est vraiment important pour moi. Là on arrive dans des répertoires où c’est toujours dans des tessitures un peu plus aigues et pour un soprano c’est toujours plus difficile de se faire comprendre là-haut parce que tout d’un coup ce n’est plus la voix parlée mais la voix de tête. Mais j’essaie quand même. Et en tant que française ce serait dommage de passer à côté de cela, non?

Peut-il y avoir un «Tragédiennes 4»?
Non je pense qu’on va s’arrêter là. Ce serait en plus sans Christophe Rousset et les Talens Lyriques et cela me rendrait très triste car là on atteint une limite pour leur répertoire. J’espère qu’on fera d’autres choses mais pour l’instant ce n’est pas très clair. Il faut trouver un thème. C’est important de trouver un lien entre des airs plutôt que de les enfiler.

Vos projets?
Je vais faire mes débuts à l’Opéra de Paris au Printemps, je vais chanter Donna Elvira dans Don Giovanni, dans la reprise de la production de Haneke. Pour moi c’est très important de chanter à Paris où cela ne m’arrive que rarement. Plus tard, dans les prises de rôle importantes je vais chanter Mme Lidoine dans le Dialogue des Carmélites au TCE et aussi dans la même saison, j’aborderais Agathe du Freischütz à Berlin. Ce sont des rôles dont je n’ai pas l’habitude et qui m’enchantent. Il faut aller de l’avant et évoluer.

Et pourquoi pas Léonore dans Fidélio?
Il y a quelques années on me l’avait proposé mais j’avais décliné. Il faudrait que ce soit avec un orchestre allégé, comme Gardiner avait fait ses Troyens. Dans ce genre de situation pourquoi pas.

Des CD?
Pour l’instant rien n’est sûr ni établi, je rêve seulement de refaire un CD de mélodies françaises. J’en avais fait un il y a 12 ans. Je les chante beaucoup en concert mais au disque ce serait un rêve.

Propos recueillis par Monique Parmentier le 20 octobre 2011

Publié le 04/11/2011 à 09:07, mis à jour le 26/01/2019 à 19:35.