Orlando Furioso

Vivaldi
Vivaldi au sommet: Orlando Furioso magnum!

Grâce à la «Vivaldi édition» et ses nombreuses splendeurs réhabilitées, nous pesons nos mots: Orlando Furioso nous apparaît absolument comme le meilleur Opéra du Prêtre Roux. La captation de cette version scénique au Théâtre des Champs Elysées est totalement à la hauteur de la partition funambulesque de Vivaldi. La distribution est triée sur le volet. Trois changements de distribution sur sept rôles depuis la version discographique d’excellence de 2004 enrichissent encore la dramaturgie du livret. Les chanteurs sont magnifiques, prouvant la naissance d’une véritable école de chant vivaldienne: roulades, vocalises, récitatifs haletants, soupirs languides, tout est parfaitement réalisé. Marie-Nicole Lemieux en Orlando a encore gagné en force et la scène lui permet de décupler l’énergie et la folie du rôle, car son jeu épouse les colorations et la puissance de son chant. La voix est agile, répond à chaque inflexion et peut tout ce qu’un gosier humain ose en chant lyrique, c’est inouï. Le personnage est criant de vérité en sa silhouette trapue, barbue et chevelue, très civilisée au début, puis sans limites, ses mouvements si vrais construisent un personnage qui compte. Le jeu de la folie qui domine les deux derniers actes est varié et permet de comprendre l’immense douleur mélancolique du chevalier que l’Amour pour Angélique a transformé en bête. Si Orlando est saisissant, autant vocalement que scéniquement, l’Alcina de Jennifer Larmore ne lui cède en rien. La cantatrice américaine émaciée et vive a un visage et une voix si expressifs que le personnage de la magicienne en sa beauté trouble et sa monstruosité inhumaine est construit à la perfection. Les registres contrastés de la voix répondent, entre beauté et laideur, à son visage tour à tour gracieux et carnassier. Les autres rôles frôlent l’idéal, avec des chanteurs-acteurs que costumes élégants et maquillages subtils font évoluer, la souffrance marquant les visages autant que l’habillement. Veronica Cangemi gagne en intensité au fil de l’opéra, Kristina Hammarström sait incarner les deux facettes de Bradamante, intransigeante et amoureuse éperdue avec sa voix d’airain. Philippe Jaroussky dépasse son émission sucrée et prend de l’épaisseur dramatique au fil des actes, ce qui n’était pas gagné. Romina Basso est un Medoro attachant et Christian Senn, seule voix d’homme grave, fait sensation par son autorité en Astolfo. Le décor à son tour traduit l’évolution psychologique des personnages comme dans les rêves freudiens. La sobriété et l’intelligence de tout le dispositif scénique, la richesse du jeu d’acteur font de ce spectacle l’un des plus aboutis depuis longtemps. Le cast scénique a réalisé un travail d’équipe très abouti. Pierre Audi pour la mise en scène, Willem Bruls pour la dramaturgie, Patrick Kinmonth pour des décors et costumes somptueux d’intelligence, et les lumières audacieuses de Peter Van Praet, construisent une ambiance crépusculaire évoquant à la perfection la mélancolie qui envahit le héros et le salon d’Alcina. La captation vidéo est musicale en diable. Le noir envahit la scène, la nuit dorée devient lugubre et les briques noires du mur de fond de scène signent le terme ultime du voyage théâtral en folie majeure. L’Ensemble Matheus est splendide, le continuo très varié est athlétique. La direction de Jean-Christophe Spinosi est comme galvanisée par la scène.
Penser qu’une telle intensité et une telle virtuosité sans failles sont obtenues sur scène tient du prodige tant on perçoit les risques fous pris par le chef, ses musiciens et ses chanteurs. Les Dacapo sont variés avec une poésie rare, parfois sur le fil d’une vocalité débridée.
Un DVD indispensable pour tout amateur d’opéra et de théâtre, novice comme amateur le plus exigeant.

Hubert Stoecklin

1 DVD naïve, enregistré en mars 2011
Publié le 26/01/2012 à 08:40, mis à jour le 26/01/2019 à 19:35.