Gautier Capuçon

Schumann au violoncelle
Robert Schumann, Concerto pour violoncelle op. 129, Adagio et Allegro op. 70, Fantasiestücke op. 73 et op. 88, Cinq pièces dans le style populaire opus 102. Gautier Capuçon, violoncelle. Chamber Orchestra of Europe, Bernard Haitink direction, Martha Argerich, piano, Renaud Capuçon, violon. CD Erato 78’19.

Cet album Schumann est le fruit de plusieurs rencontres, récitals ou concerts donnés par Gautier Capuçon et Bernard Haitink d’une part, et Martha Argerich et Renaud Capuçon d’autre part. La qualité des partenaires et du musicien français situe le niveau d’excellence de ces enregistrements live autour de l’œuvre pour violoncelle de Schumann. Le concerto en la mineur opus 129 composé en 1850 a pour titre exact Pièce de concert pour violoncelle avec accompagnement d’orchestre. C’est dire la place accordée à l’instrument. Un an après, Clara dans son Journal s’enthousiasme encore: «Le romantisme, l’esprit, la fraîcheur, l’humour, puis l’entrelacement fascinant du violoncelle et de l’orchestre, tout cela est vraiment passionnant. Et puis, l’harmonie et un sentiment profond remplissent les passages chantants!». L’entrée du violoncelle installe le premier thème, ample, généreux, et cependant mystérieux avant que le second plus dramatique n’impose sa couleur sombre, d’un beau lyrisme. La générosité et la rigueur conjuguées de Gautier Capuçon excellent à parcourir cet étagement des climats qui semblent au cœur de la musique de Schumann. Il sublime l’adagio qui s’enchaine sans autre transition que quelques traits: transparent, noble, inspiré, affûté, le jeu de Capuçon impose sa rêverie à laquelle fait écho l’orchestre dirigé subtilement par le grand Bernard Haitink. Bien évidemment, les difficultés techniques dont Schumann essaime le Vivace ultime n’effraient pas le virtuose qui s’en affranchit avec élégance. La cadence curieusement située à la fin de l’œuvre laisse à l’interprète le soin d’approfondir sa vision d’un Schumann chantant et profond à la fois, dégraissé des lourdeurs romantiques dont on l’affuble quelquefois. Même si le packaging de l’album magnifie Gautier Capuçon, Argerich est loin de n’être qu’une artiste invitée. Elle ne quitte pas son clavier pour les quatorze plages et quatre œuvres restantes. Et le duo, puis le trio avec Renaud Capuçon pour les dernières Fantaisies séduisent par la hardiesse et la tendresse, la fougue et la sérénité, la fraicheur et le feu, au gré des humeurs du compositeur. Le miracle avec de pareils interprètes est que les prouesses techniques s’effacent, les egos se fondent, les instruments dialoguent au sommet pour que s’élève plus encore la musique pure. Faut-il détailler les beautés de ces conversations intimes? Les trois Fantaisies opus 73 sont tourbillons, approches sensuelles, aveux fiévreux. Les Cinq pièces dans l’esprit populaire savent danser sans lourdeur, s’amuser sans prétention (le piano espiègle d’Argerich!), ici encore rêver, susciter une douce émotion, des paysages choisis, des chants au lyrisme discret. Le plus confidentiel opus 88 où le frère vient compléter le frère et l’amie confirme la mystérieuse entente entre trois grands musiciens et la qualité de l’inspiration du compositeur, moins tourmenté qu’ineffable et plaisant conteur. Le martial final semble clore avec humour quelque féerie à la Mendelssohn. .
Un bémol? Pourquoi amoindrir l’intégrité musicale de l’album en l’accompagnant de photographies posées aussi artificielles, relevant de clichés romantiques aussi éculés et somme toute aussi étrangers au compositeur qu’on veut servir? Pourquoi un aussi grand artiste que Gautier Capuçon se prête-t-il au jeu d’un marketing si peu digne de sa valeur? Clin d’œil? Autodérision? Si c’était vrai!

Jean Jordy


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Publié le 17/02/2019 à 18:13, mis à jour le 04/05/2020 à 16:43.